Les Voies

Deux fois par mois, le Mouvement Les Voies revient sur les évènements qui ont fait l’actualité à travers le continent européen.

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21 juin · 5 mn à lire
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Les Voies #8

Nationalismes et enjeux de santé, un jeu risqué.

Edito

En mai, nous vous annoncions un programme éditorial exceptionnel, exclusivement consacré aux élections européennes et promettions, en creux, un retour à la normale pour cette édition post-électorale. Mais c’était sans compter sur l’imprévisibilité du Président de la République, et sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale le soir du 9 juin, ouvrant la voie à des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet prochains. 

Ainsi, durant les prochains jours, nous romprons avec notre rythme bimensuel habituel pour vous fournir un éclairage régulier sur les sujets essentiels de cette campagne. Nous réaliserons en particulier un plongeon dans les méandres de la vie des citoyens européens qui vivent actuellement dans un pays gouverné par l’extrême droite. Pour cette première édition spéciale législatives du chaos, Les Voies dissèque le programme santé du Rassemblement National. 

La santé publique est un sujet récurrent dans les débats en France et constitue l'un des principaux enjeux pour les citoyens français et européens [1]. Avec des actualités marquantes telles que la crise de la Covid-19, la question de la rémunération des soignants et la constitutionnalisation de l'IVG, ce thème attire naturellement l'attention des politiques pendant cette campagne législative inédite.

Si le thème de la santé n’apparaissait pas dans les 22 propositions édictées par le Rassemblement National à l’occasion des précédentes élections présidentielles et législatives de 2022, le parti à la flamme lui a tout de même consacré un livret thématique, promettant une refonte complète du système hospitalier, tout en restant très ambigu sur la question du financement de la santé publique. Nous vous proposons un rapide tour d’horizon des problématiques de financement, de liberté de choix en matière de santé et enfin de discriminations envers les étrangers promis par le parti à la flamme. 

La question première du financement du système de santé publique

Si chaque Etat-Membre dispose d’un système d’assurance maladie et de système de soins, leur financement peut faire l’objet de variations d’un État-Membre à l’autre, impactant directement l'accessibilité des soins pour les citoyens. La France, il est vrai, dispose d’un système particulièrement généreux, soit 12.2% du PIB investi en 2020 dans le système de santé - loin devant la Hongrie (7.3%) ou la Pologne (6.5%) [2]. Malgré cela, le manque d'investissement dans le système de soins français est souvent pointé du doigt : qualité de soins certes, mais pénuries de personnel, de matériel et de lits. L’heure serait plutôt à l’augmentation significative des investissements dans le secteur de la santé pour moderniser les infrastructures, recruter et former davantage de personnel pour in fine garantir une prise en charge optimale pour tous les citoyens. 

Rappelons néanmoins que l’espérance de vie en France est supérieure à la moyenne de l’Union européenne, et le taux de mortalité évitable est lui parmi les plus bas [3]. Au surplus, l’obligation de souscrire à une mutuelle permet aux français d’avoir les dépenses en propre les plus faibles de l’Union européenne.

De son côté, la Hongrie, qui, au passage administre ses questions de santé via un sous-secrétariat d’Etat rattaché au ministère de l’Intérieur, avait en 2020 l’un des plus hauts taux de mortalité évitable de l’Union - et ne dépensait que 1352€ en moyenne par personne et par an, soit seulement la moitié de la dépense publique moyenne en Europe, estimé à 3319€. En pratique, le reste à charge pour les patients s’élève à 25% des dépenses totales de santé, soit dix points de plus que la moyenne européenne en raison notamment d’une part remboursée sur les médicaments relativement faible [4]. 

Quant à l’Italie, les réductions du financement de la santé ont participé à l’accélération de la privatisation du système de santé, suscitant de nombreuses manifestations du personnel soignant à l’automne dernier.

Les défis persistants en matière de ressources humaines et matérielles soulignent l'urgence d'une augmentation significative des investissements pour garantir une prise en charge optimale, contrastant avec la réalité observée en Hongrie que nous n’envions pas du tout.

Défiance vis-à-vis du système de santé et de la vaccination

Parallèlement à ces enjeux de financement, les partis nationalistes s’illustrent par une défiance importante vis-à-vis du système de santé, illustrée par la remise en cause de la vaccination, pourtant largement instruite à travers de nombreuses études scientifiques [5]. Ce discours, tendant à remettre en cause le principe même de l’efficacité de la vaccination et démontrant un manque de compréhension de la médecine et de l’immunologie, a été particulièrement mis en évidence durant la crise COVID [6]. La vaccination contribue pourtant à sauver 2 millions de vies chaque année selon l'Organisation Mondiale de la Santé. Toutefois, de nombreux partis d’extrême droite remettent régulièrement la vaccination obligatoire en question, lui opposant le principe de la liberté de choix individuel, en dépit des risques pour la santé publique.

A titre d’exemple, Giorgia Meloni avait prévu dans son programme une abolition de l’obligation vaccinale - qu’elle n’a cependant pas encore eu l’occasion de porter au Parlement italien, en raison d’un relatif immobilisme institutionnel depuis son arrivée au pouvoir.

La bioéthique et la question du choix en santé s’invitent dans les débats.

Traditionnellement conservateur, le Rassemblement National n’a pas soutenu la constitutionnalisation de l’IVG au printemps dernier, 11 parlementaires du groupe ayant voté contre, et 20 s’étant abstenus. Si Jordan Bardella se targue d’être le candidat des femmes, on note un manque de clarté sur cette question au sein de sa famille politique, qui s’accompagne d’une incitation à la mise en place d’une politique nataliste forte dans le discours. Si le programme du Rassemblement National est mutique sur les questions de bioéthique, les autres Etats-Membres gouvernés par des nationalistes, ne sont pas en reste. 

En Pologne par exemple, les conservateurs populistes du PiS, régulièrement au pouvoir depuis les années 2000 ont effectué au fil des années un important travail de sape du droit à l’avortement, qui n’est désormais plus possible qu’en cas de viol, ou de mise en danger de la vie de la mère, comme nous le rappelions dans la note consacrée à la constitutionnalisation de l’IVG

Aux Pays-Bas, le contrat de coalition adopté le 16 mai 2024 [7] prévoit de son côté la tenue d’un débat national sur les questions liées à l’avortement, l’euthanasie et la recherche sur embryons, indiquant qu’aucun changement de législation n’est prévu sauf dans le cas de développements “imprévus et significatifs” - ouvrant de fait la porte à des réformes. 

Giorgia Meloni, au début du mois, souhaitait par ailleurs faire disparaître toute mention de la garantie d’un accès sécurisé à l’avortement dans une déclaration commune des chefs d’Etat du G7.

Une vision discriminatoire de la santé. 

La santé publique vue par le Rassemblement National n’échappe pas à la doctrine relative à la priorité nationale. Cela signifie concrètement que les étrangers ne pourraient avoir accès aux prestations de santé et aux aides sociales qu’à l’issue de cinq années de travail en France, soit cinq années de cotisation sans contrepartie. 

En 2022, le RN souhaitait réformer l'AME pour en limiter l'accès aux soins urgents, et non à l'ensemble des soins dans le but d’en réduire le coût et de lutter contre une immigration illégale qui serait attirée par cette aide​​. Parce que la droite avait durci sa ligne à l’occasion des débats sur la très controversée loi Immigration, le RN a suivi cette même ligne en votant la suppression de l’aide médicale d’urgence pour les étrangers, un dispositif - rappelons-le - permettant par exemple d’accorder des soins nécessaires aux femmes enceintes, ou encore visant à éviter la propagation des maladies grâce aux vaccins. 

Une dynamique comparable peut être identifiée d’en d’autres pays gouvernés totalement ou partiellement par des nationalistes. C’est le cas en Suède, où le gouvernement soutenu par l’extrême droite souhaite restreindre le droit à l’aide médicale en retirant par exemple les soins dentaires d’urgence, tout en prévoyant de mettre en place un mécanisme de délation obligatoire pour les agents publics ayant connaissance d’étrangers en situation irrégulière. 

Or, cela relève du bon sens : réduire l'accès aux soins des populations vulnérables pourrait entraîner des coûts plus élevés à long terme, car la dégradation de la santé des individus non soignés préventivement augmenterait la demande de soins urgents, souvent plus coûteux. Ainsi, au lieu de réaliser des économies, ces mesures pourraient paradoxalement alourdir les dépenses du système de santé public.

La crise COVID a révélé un autre aspect de la vision des partis d’extrême droite en Europe. En effet, des dirigeants de la Ligue en Italie, du PiS en Pologne, et de Vox en Espagne ont tenu des propos liant directement la pandémie à l'immigration, aux immigrés et aux minorités ethniques, en dépit de preuves scientifiques étayées. 

Enfin, la vision discriminatoire s’applique également vis-à-vis du personnel soignant, le RN proposant en 2022 de "réduire drastiquement le recours aux médecins ayant obtenu leur diplôme hors de l’Union européenne", au risque d’aggraver la pénurie de médecins, particulièrement dans les zones rurales.

En conclusion, l'analyse du programme de santé du Rassemblement National révèle plusieurs points de préoccupation majeure, notamment en ce qui concerne le financement de la santé publique maintes fois dénoncé par les économistes, la question du libre choix en matière de bioéthique, et les discriminations pratiquées envers les citoyens d’origine étrangère. Les exemples des politiques de santé dans d'autres pays européens dirigés par des partis similaires montrent des résultats souvent alarmants, comme en Hongrie ou en Pologne, où les réformes ont conduit à une diminution de l'accès aux soins et à une détérioration des droits des patients.

L'ambiguïté et le manque de clarté du programme du Rassemblement National en matière de financement, associés à une vision conservatrice sur les questions de santé, soulèvent des inquiétudes quant à l'avenir du système de santé français. La priorité nationale prônée par le parti pourrait également introduire des discriminations importantes, réduisant l'accès aux soins pour certaines populations.

Alors que la France se prépare à ces élections législatives, il est essentiel de considérer les implications potentielles des politiques proposées. La protection de la santé publique, telle que définie par le Code de la santé publique, reste un droit fondamental qui doit être préservé pour tous. Les citoyens sont appelés à réfléchir attentivement aux choix politiques qui influenceront l'avenir de leur système de santé.


A propos

Les Voies est un mouvement progressiste citoyen fondé au printemps 2024 par Amandine Rogeon et Alexandra Laffitte. Les Voies ambitionne d’insuffler un vent idéologique et programmatique nouveau grâce à une méthode innovante : la clause de la Nation la plus favorisée appliquée aux politiques publiques les plus progressistes adoptées par les Etats membres de l’Union européenne.

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Par e-mail : collectiflesvoies@gmail.com


[1] Eurobaromètre, automne 2023. La question de la santé publique arrive en deuxième position des priorités des citoyens européens (34%) et des citoyens français (41%).

[2] Source : profil de santé pour la Pologne 2023, OCDE.

[3] L’espérance de vie en France en 2020 était de 82.2 ans, contre 80.7 ans en moyenne au sein de l’Union européenne. Le taux de morts évitables en France était d’environ 200 cas pour 100 000 habitants, contre environ 270 au niveau de l’UE. Source : profil de santé pour la France 2023, OCDE.

[4] Source : profil de santé pour la Hongrie 2023, OCDE.

[5] Kennedy J. Populist politics and vaccine hesitancy in Western Europe: an analysis of national-level data. Eur J Public Health. 2019 Jun 1;29(3):512-516. doi: 10.1093/eurpub/ckz004. PMID: 30801109.

[6] Recio-Román A, Recio-Menéndez M, Román-González MV. Vaccine Hesitancy and Political Populism. An Invariant Cross-European Perspective. Int J Environ Res Public Health. 2021 Dec 8;18(24):12953. doi: 10.3390/ijerph182412953. PMID: 34948573; PMCID: PMC8701982.

[7] Voir ici, page 16.